N’aurions nous passé que deux jours en Iran, j’aurais dissuadé quiconque d’aller faire du tourisme dans ce pays de cinglés.
Quand nous passons la frontière à Taftan ce jeudi matin, nos contacts avec l’Iran se sont limités pour l’heure au service des étrangers et aux escrocs associés qui ont mis 2 mois pour nous délivrer un visa valable 7 jours. Coup d’œil méprisant du douanier au triporteur : « vous êtes au chômage ? ». On veut nous faire payer une voiture d’escorte, au motif que le policier aurait peur de monter dans notre véhicule. Il s’en accommodera et l’on part sous la protection rapprochée d’un jeune de 18 ans sans arme, qui s’endort bientôt… en se demandant probablement ce qu’il a bien pu faire pour se retrouver dans cette boîte à savon, qui présentement avec le vent de face ne parvient pas a dépasser les 30 km/h…
Nous avons peu de temps de temps pour traverser l’Iran et la police de Zahedan la première ville d’importance semble s’ingénier à nous en faire perdre le maximum, en nous faisant tourner en rond dans la ville, nos passeports passant de patrouille en patrouille. Pendant deux jours les escortes sont à l’avenant…on est à midi, au milieu du Dasht-e-Lut, désertique, la jeep s’arrête, les trois jeunes qui nous servent d’escortes nous annoncent tranquillement qu’ils ont oublié les passeports au poste précédent. On donc attend qu’un planton arrive à bord d’un camion et pendant ce temps là ils voudraient finir notre réserve d’eau… Autant dire que l’on ne recherche pas précisément les escortes, si elles ne viennent pas à nous et que notre soulagement est grand quand on nous laisse enfin tranquille. A la décharge de la police, il faut dire que la situation dans cette région de l’Iran est assez tendue, notamment du fait de la contrebande intense avec le Pakistan et l’Afghanistan. Petite séquence émotion : la jeep que nous suivons se range subitement sur le côté et nous voyons les soldats courir comme des fous à la poursuite de quelques hommes qui s’égayent dans la colline. Qui sont-ils ? Un vieillard et un plus jeune pas assez réactifs se sont fait prendre et attendent fatalistes sous la menace de la mitraillette.
Nous sommes surtout perdus car nous ne maîtrisons plus la langue et rares sont ceux qui parlent anglais. Mais l’Iran heureusement ne se résumera pas à ces débuts chaotiques.
Au bout de 1500 km de quasi désert, après quatre jours et, de nuits sous la tente, d’étapes magnifiques mais usantes, nous retrouvons la « civilisation ». Et la civilisation, ce jour-là, prend l’aspect d’un car de voyage organisé français qui arrive en même temps que nous à l’hôtel à Kerman. Et dans le hall, la télé branchée sur France 24 nous montre un ancien premier ministre qui se demande si N. Sarkozy ne vas pas un peu trop vite…
Nous allons ensuite progresser depuis le sud est de l’Iran jusqu’au nord ouest, rapidement d’abord puis plus tranquillement ensuite. Pour la bonne raison que notre visa a été étendu de 1 mois, contrairement à toute attente et à ce que l’on nous avait annoncé ! MachAllah ! Nous visitons d’abord Yazd, aux portes du désert puis arrivons à Ispahan, qui va nous ravir par sa beauté. A Ispahan, nous avons la surprise de voir jaillir Matthieu, fidèle ami dans notre aventure indienne en 2005, au milieu du trafic sur la rue qui mène à notre lieu de rendez-vous. Joie des retrouvailles. Après la superbe place Iman square de Ispahan, c’est vers Shiraz que nous allons, au sud en bus de nuit. Nous y visitons en particulier le site de Persépolis, prestigieux témoin de la gloire des empereurs Achéménides, Darius et cie. Nous poursuivons notre route ensuite jusque Téhéran ou Matthieu nous quittera après cette semaine courte mais intense. L’arrivée dans la mégalopole, adossée à la montagne, ne fut pas de tout repos…la ville est énorme, le trafic routier impressionnant et la conduite des iraniens folklorique. Nous n’avons jamais vu autant de marche arrière sur les bretelles d’accès aux autoroutes. (Il est vrai qu’en Inde on ne s’embarrasserait pas avec la marche arrière…)
Sans trop comparer avec le sous-continent, notons tout de même que nous avons été surpris par le côté développé de l’Iran. Cela se traduit pour nous tout particulièrement par l’état des routes : excellent. Etrangement, à mesure que nous progressons vers les pays développés, il semble que la vie quotidienne se complique pour le grain de sable que nous sommes : téléphones publics remplacés par les portables, cafés internet remplacés par les connexions à domicile, la lessive à la main remplacée par les lave-linge etc…
Le triporteur continue son lent travail de déstabilisation. Là où il passe on assiste à une chute de la productivité dans les secteurs agricoles et de la construction routière. Mais il augmente par ailleurs la bonne humeur ambiante, provoquant au minimum un sourire amusé et bien souvent une hilarité générale. Certains affirment par ailleurs qu’il en a incité plusieurs à stopper la consommation d’alcool…c’est exagéré. Mais ce serait le moindre des services que nous pourrions rendre au gouvernement de M. Ahmadinejad : en fixant le prix du litre de diesel à 0,01 €, il subventionne en quelque sorte notre équipée !
Le passage à la pompe est une expérience irréelle : on commence par repérer les files de camion pour trouver la station qui vend du diesel, souvent la seule dans un rayon de 100 km. Il s’agit ensuite de se composer un air suffisamment ahuri pour doubler la queue, tout en demandant au chauffeur en tête de file de bien vouloir nous autoriser à prélever quelques litres dans son quota…car le diesel est rationné et, bien entendu, nous n’avons pas la carte nécessaire. Le pompiste se charge généralement de la faire l’intermédiaire et dans 3 cas sur 4 nous ne payons rien, pour notre demi plein ridicule de 6 litres. D’autres situations aussi étranges : des gens nous demandant si nous ne voulons pas prendre un peu de gasoil, comme on propose un verre d’eau, un militaire de l’escorte qui puise pour nous dans un bidon de 20 litres posé en pleine route au milieu de nulle part ou encore un routier qui siphonne dans son propre réservoir quand on lui demande où se trouve la prochaine station service…
L’Iran est un pays de montagnes. Et notre rickshaw a du passer quelques cols dans le nord du pays. En effet après Téhéran, nous avons pris les chemins de traverses, passant par la vallée d’Alamut, célèbre pour les châteaux de la secte des assassins et ensuite par le site zoroastrien de Takht-e-Soleiman, pour sortir du pays du côté d’Orumyeh. C’est ainsi que nous sommes montés à 2500 m et nous avons inauguré les séances de « poussette » pour les passages les plus pentus. Parallèlement nous avons atteint en descente des vitesses proprement supersoniques : au minimum 80 km/h, l’aiguille ne va pas au-delà…
En Iran comme au Pakistan, nous avons rencontré quelques overlanders, i.e. ceux qui font la route, en général vers le sous-continent. Les camping cars et autre camions aménagés suivent une véritable migration, pour profiter au mieux du climat : départ d’Europe en Septembre et retour depuis l’Inde en mars. Nous nous inscrivons dans le grand courant du retour. On partage ainsi des nouvelles des gens croisés précédemment, les tuyaux pour les visas, hébergement. On nous accueille généralement par un « Alors c’est vous les types en rickshaw ! » amusé…
Les Iraniens enfin. Comment des gens aussi charmants, accueillants, mesurés, aimant les fleurs, les jardins, fanatiques des pique-niques, vénérant les poètes se sont-ils imposés le port du voile, la censure, une parodie de démocratie etc. Mystère. Mais de notre courte expérience nous avons senti que les principes de la révolution islamique n’ont pas l’air ancrés si profondément et visiblement une grande partie des jeunes ne demande qu’à les faire sauter. La question rituelle « Iran good ? » révèle cette obsession qu’on les iraniens de l’image qu’ils donnent au monde et du besoin d’être rassurés sur ce point comme s’ils n’y croyaient pas vraiment eux-mêmes.
Avant de quitter l’Iran : nous faisons une pause dans une montée abrupte. Les prés sont en fleurs. Une moto passe, nous demandant si nous avons un problème. On nous invite à prendre le thé…la théière, le thé, le sucre, les verres sont prestement sortis d’un sac plastique. Un petit feu est démarré à l’ombre d’un arbre, en bord de route. On ne se dit presque rien, nos interlocuteurs ignorent l’anglais comme 95 % de leurs concitoyens et nous baragouinons quatre phrases de farsi…et pourtant, il y a une vraie densité dans ce moment-là, une joie très tranquille. Nous sommes récompensés du voyage.
Sylvain
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